Un appel… Ca n’arrivait régulièrement, mais de la famille Saito, ça jamais. Cela faisait bien longtemps que Kikyo ne les avait vu, depuis que son père était rentré à Kyoto en fait. Donc voir leur numéro s’afficher ainsi intrigua fortement la brune.
Pourquoi donc iraient-ils l’appeler du jour au lendemain, surprenant...
Elle décrocha tout de même, après tout les Saito étaient de très bons amis des Tamafune depuis longtemps, ce sont deux familles partageants de mêmes valeurs et un amour inconditionnel des vielles traditions, cette discussion ne pouvait qu’être intéressante.

Et elle le fut, un long échange, de banalités dans un premier temps, chacune des femmes prenant des nouvelles de l’autre avec une cordialité presque effrayante pour quiconque n’y serait pas habitué, mais absolument normale pour Kikyo. Au bout de quelques minutes de discussion, la jeune femme fut surprise, la demande énoncée à l’autre bout du fil était surprenante et la prit de court.
Elle n’avait jamais fait ce qui lui était demandé, donner des cours de musique à l’enfant Saito. Certes, Kikyo savait jouer du shamisen et du Koto, deux instruments qui avaient bercé son enfance, sa préférence allant d’ailleurs au premier, mais de là à l’apprendre à une autre personne, elle en douta quelques instants. Enfin, après tout, elle leur devait bien ça, leur refuser une telle demande serait une insulte à sa famille et ses valeurs.
Elle accepta donc de venir une après-midi pour un premier cours quelques jours après l’appel.


C’est le dit jour que Kikyo se présenta à la demeure Saito, habillée d’un de ses habituels Kimono et déterminée à bien apprendre au jeune Saito. Son propre Shamisen dans sa boîte, elle se doutait que la famille Saito en aurait déjà un pour leur enfant.

Elle frappa à la porte et patienta quelques secondes qu’on lui ouvre et qu’on la mène à madame Saito qu’elle salua avec le plus grand respect et avec gentillesse.
Puis son regard se tourna vers le jeune homme à qui elle devait donner cours dans les minutes à venir. Ce qui marqua le plus le regard de la jeune femme fut ses cheveux et la marque de brûlure sur une partie de son visage, une apparence très singulière, voyante et qui jurait totalement avec le kimono dont il était vêtu, comme deux personnes dans un même habit.
Il n’avait pas l’air très heureux de voir Kikyo et elle savait déjà que l’après-midi ne serait sûrement pas de tout repos. C’était donc lui le jeune Saito...
Même dans sa voix, Kiyo pouvait sentir l’ennui poindre. Pourtant, l’apprentissage d’un instrument était une chose passionnante bien que complexe.

Lorsque le jeune homme la salua elle put entendre que le son de sa voix était aussi las que l’air qui peignait son visage depuis qu’elle était entrée.

« Bonjour à toi, enchantée également Saito-Kun, j’espère que tu pourras apprécier l’apprentissage.»

C’était une salutation cordiale mais sèche, un échange qui allait être complexe et Kikyo le comprit encore plus avec l’intervention du jeune homme qui vint après.
La jeune femme ne s’attendait pas à ce genre de remarque et échappa un rire amer, elle ne se ferait pas avoir par une telle remarque et un rictus sur les lèvres elle rétorqua presque instantanément.

«Voyons jeune homme, ce n’est pas ainsi que je pourrais te prodiguer un enseignement digne de ta famille, n’as-tu donc jamais appris que tu te devais de respecter tes aînés et professeurs. Bien que ton honnêteté soit appréciable, tu devrais apprendre à parler avec plus de retenue.»

Kikyo adressa un sourire à Madame Saito, tout simplement dans l’amertume de l’échange qui venait d’avoir lieu sans mot ajouter.

« Et si nous allions faire ce cours, je suis certaine que cela te sera très instructif, le Shamisen est un instrument passionnant.»

La rébellion adolescente, âge si amusant où les jeunes gens voulaient faire différemment de ce qu’ils avaient appris, où ils voulaient faire entendre leur voix plus forte que les autres.
Se couper de la tradition, fuir ce passé qui disparaissait peu à peu, craindre de rester coincé dans ce carcan de vieillerie.
Kikyo ne pouvait que le comprendre, et ce pauvre enfant n’avait pas l’air de réellement être à l’aise avec les conventions de la vielle société. S’émanaient de lui les envies d’échapper à toutes ces formalités.

Kikyo avait eu cette douce période de crise, il y a de cela une dizaine d’années. Mais son père plutôt que de la coincer et de la forcer à suivre les apprentissages lui avait démontré que la tradition pouvait aussi évoluer avec le temps, que même si tout semblait vieux tout pouvait évoluer. La jeune ado qu’elle était à l’époque avait été surprise de tout ce que lui avait montré son père à cette période.

Cependant, elle savait aussi qu’elle devait rester stricte, qu’elle ne pouvait pas se permettre de repousser les limites de l’apprentissage, que la famille Saito était encore plus ancrée dans les traditions que la famille Tamafune.
Mais avec un peu de chances Kikyo pourrait apprendre au jeune Miyuki à apprécier ces vielles traditions à nouveau.

Le jeune homme qu’elle observait était empli de colère, ce ne serait pas tâche aisée de lui apprendre à jouer dans ces conditions, mais elle ne comptait pas y aller doucement avec lui.


« Bien, la sincérité est une vertu, cependant la colère est un vice que tu dois tenir éloigné de la musique. »

Fermant les yeux un instant, elle suivit ensuite les Saito jusqu’à la salle où elle allait apprendre au jeune Miyuki à jouer.

« Fais-moi confiance, le Shamisen est un instrument plutôt permissif, il suffit de savoir quoi jouer pour l’apprécier. C’est un instrument polyvalent et je suis certaine que tu vas t’y attacher, après tout, je suis là pour cela. Le temps ne va pas être aussi long que tu ne le penses. »

Kikyo prit ainsi place, à genoux au sol, libèrent son instrument de son doux écrin, vérifiant les cordes avec l’attention qu’elles méritaient.
Tournant son regard vers la porte elle attendit quelques secondes d’être définitivement seule avec Miyuki. Puis tournant à nouveau la tête vers lui, se remettant en position et enfin vérifiant les accords de son instrument elle sourit doucement.
La sensation de liberté qu’apporte la musique était toujours aussi plaisante malgré les années qui passent.

«  Et si je commençais par une démonstration de ce qu’un shamisen peut faire.
Tu ne m’as pas l’air vraiment heureux de te trouver ici et certainement avons-nous peu de chances de nous entendre, mais je vais faire en sorte que ce soit au moins cordial. »

Soufflant, plaçant ses doigts sur les cordes, Kikyo se mit à jouer une douce mélodie, collant parfaitement à ce qu’on s’attendrait d’un shamisen.

- https://www.youtube.com/watch?v=-Nyu3Z77aCE -

Puis achevant la démonstration, elle replaça la mèche qui lui cachait légèrement le visage.

« On va commencer avec une question simple, que penses-tu de ce morceau. Sois sincère.
Et dis-moi également, quelles bases as-tu avec cet instrument ? »

Kikyo attendait les réponses avec attention, cela l’aiderait à voir quelle direction prendre avec le jeune garçon face à elle.
La jeune femme comptait prendre sur elle, ranger un peu son mauvais caractère, jouer plus sur son côté de gérante de bar sympathique tout en restant sérieuse et sévère s’il le fallait.