«  Ahh… Décidément, je me demande si je finirai par m’habituer à ces températures un jour… »

Comme pour te répondre, quelques flocons commencèrent à virevolter dans le ciel d’un blanc-gris cotonneux. Les températures avaient chuté tout doucement, en suivant le fil des saisons tranquillement. Et cela signifiait une petite chose toute simple que tu redoutais chaque année : L’hiver. Tu y étais habituée, depuis le temps que tu côtoyais le Japon. Mais t’y faire ? ça… Jamais. C’était comme si ton organisme refusait en bloc les sensations de froid. La chaleur et la moiteur de l’Inde te manquait toujours un peu… Mais rien qui te donnerait envie d’y retourner.
Tout du moins, pas aujourd’hui.

Tu avais une place dans ce pays, tu y avais développé des relations, trouvés objectifs et loisirs… Une… vie en somme.
Pour autant, tu n’oublierais pas le passé, et encore moins ces personnes qui avaient marqué ta vie au fer rouge. Notamment un homme, et une enfant, la tienne.

« Ah ! »

Un flocon de neige venait d’habilement se glisser entre ton épaisse écharpe en cachemire et la peau fragile de ton cou. Rien de dramatique, mais ça avait au moins eu le mérite de te sortir de tes pensées. C’était quelque chose qui t’arrivait régulièrement, te perdre en pensées, te refaire ton passé en quelques secondes.
C’était peut-être pour cette raison que tu avais besoin constamment d’être active, de chercher, de réfléchir, d’être dans l’action ? … Oui, sans aucun doute.

Après avoir resserré ton manteau blanc au niveau du col, tu tapotas tes talons pour en retirer le maximum de neige sur le pas de la porte du bar que tu avais repéré avant de pousser celle-ci. D’après l’un de tes contacts, un certain scientifique et ingénieur appréciait assez bien ce lieu. Sans faire partie de Detekuru Lab, il avait participé à des conférences, et avait été en contact avec plusieurs personnes faisant parties de ton dossier. Tu n’en savais pas plus et… C’était ton rôle, de fouiner et de remuer. Le but était bien sûr de surveiller les nombreux groupes privés afin de protéger le pays, mais… Rien ne t’empêchait de t’amuser en même temps~ Et puis tu n'étais pas en intervention, raison de plus !

« Bonsoir~ »

De ta voix guillerette, tu te dirigeas directement vers le comptoir pour réclamer une boisson non alcoolisée à base d’aloe vera. Tu ne portais pas l’uniforme ce soir, mais pour autant tu ne ressentais pas l’envie de consommer quoi que ce soit d’alcoolisé. Peut-être plus tard dans la soirée…
Déjà bien à l’aise, tu retiras ton long manteau, le déposa sur le dossier de ta chaise haute, avant de t’accouder délicatement sur le comptoir, en recherche de rafraîchissements, ton visage souriant posé dans le creux de tes mains.

« Barmaid ? Pourrais-je avoir… Hm… Une boisson sans alcool ? À base d’aloe verra, merci~ »

Tu n’avais pas jeté d’œil à la carte, après tout, tu n’étais pas vraiment là pour faire de nouvelles découvertes gustatives… Bien que ce bar soit en lui-même une découverte. Outre le fait que tu allais peut-être apprendre deux trois choses intéressantes, il s’agissait de l’un des derniers bars sans technologie DL. Tu savais donc déjà que tu ne pourrais pas utiliser ton SCHA lens ou un autre de tes nombreux accessoires. On pourrait penser que l’ingénieure informatique se sentirait oppressée par une telle atmosphère… Mais pas du tout. Tu avais également été entraînée pour pouvoir te débrouiller sans gadgets. Et puis… La propriétaire du bar avait sans doute rempli sa part du marché, faire oublier aux clients le monde extérieur et les problèmes allant avec.

Du bout de tes doigts recouvert d’une paire de gants immaculés, tu redressas ta coiffe (constituée de tissus indien et d’une rose) sur tes cheveux blancs, pourtant fixée avec des épingles. La robe que tu portais tu l’avais cousu de tes mains lorsque tu étais en repos, et tu en étais… Plutôt fière. Oui, c’était le mot. Quant aux lunettes que tu arborais sur ton petit nez, elle ne te servait pas à améliorer ta vue déjà excellente, mais plutôt à modifier très légèrement ton visage. Et influencer les autres. Ils auraient ainsi plutôt l’impression d’avoir affaire à une personne plutôt petite, inoffensive par son gabarit, et qui EN PLUS, porte des lunettes. Pas… Une ex militaire et membre du SAT habilement camouflée pour ressembler à une femme lambda… Ou presque.

Tu espérais d’ailleurs que la jeune femme derrière le bar n’irait pas jusqu’à demander ta carte d’identité pour s’assurer de ton âge. Tu aimais bien garder le mystère dessus. Majeure ?... Mineure ?...

Heureusement pour toi, le bar semblait être relativement bien chauffé, sinon tes pauvres collants et tes mocassins vernis marie-jeanne n’auraient pas suffi pour te tenir au chaud.
Sans avoir à te retourner, tu pouvais déjà entendre des murmures à propos de ta chevelure, de tes tatouages et… De ton allure en général. Rien d’anormal pour l’instant.

Patiente, tu relevas tranquillement ton visage aux alentours pour observer la décoration qui, tu devais l’avouer, avait été choisie avec goût. Oh… une horloge. La soirée commençait tout juste…

Il était bientôt l’heure, la soirée allait commencer et il fallait se rendre au bar pour que tout soit prêt pour l’ouverture. Même s’il n’y avait jamais de soucis, les employés de Kikyo faisant toujours du bon travail, chaque jour quand elle arrivait le bar était propre et rangé.
Mais ce jour-ci elle devait recevoir une nouvelle commande d’une caisse de saké haut de gamme, qu’elle se ferait d’ailleurs un plaisir de goûter comme toujours.

Enfilant un col de fourrure pour se tenir chaud elle ouvrit la porte de sa demeure et regarda le petit nuage blanc se former quand elle souffla, frissonnant légèrement Kikyo verrouilla derrière elle et prit la route pour son établissement.
Elle avait laissé son SCHA chez elle comme chaque soir, il était encore tôt mais tout devait être carré et parfait pour ouvrir, elle était maniaque quand il s’agissait de son établissement.


Après un bon temps à marcher dans la neige elle arriva dans la petite rue où son bar était établi, l’endroit ne payait pas de mine au premier regard, mais c’était agréable, peu éclairé mais chaleureux.
Une devanture de pierre et de bois, quelques petites lanternes rouge et une porte de bois également elle entra, refermant à sa suite.

Le calme la frappa, son employé n’était pas encore là et n’arriverait qu’une heure après.
Traversant le bar pour se rendre à l’arrière afin de récupérer la caisse tant attendue elle regarda autour d’elle si tout était en ordre.
Les tables en bois et les tabourets bien propres et à leur place.
Les éventails rouges, noirs, et or sur les murs tous bien droits. Le bar propre et verni assez haut avec ses grands tabourets et la vieille horloge toujours fidèle. Diverses bouteilles de qualité variables et esthétiques à la vue des clients derrière le bar comme une grande décoration de verres arc-en-ciel flous.
Et les nombreuses lanternes au plafond et murs éclairant le tout d’une lumière orangée assez douce.
Pour conclure la décoration les nombreux tableaux des paysages et temples japonais et des reproductions d’oeuvres variées de Hokusai et un poêle à bois qui chauffait la salle complètement.
Kikyo sourit, tout était propre et en ordre, elle pouvait donc ranger ses nouveaux alcools sans avoir à s’inquiéter et à ouvrir le bar ensuite pour la soirée à venir.


Le bar était donc ouvert, les clients allaient et venaient, pour beaucoup des habitués avec qui Kikyo discutait et buvait joyeusement, elle n’imaginait pas un service sans boire quelques verres avec ses clients, c’était beaucoup plus chaleureux et convivial, ça faisait vivre le lieu. Elle terminait une discussion avec un vieil ami quand une jeune femme lui étant inconnue pénétra dans le bâtiment et vint s’installer au comptoir.
Elle était vraiment mignonne et avait l’air plutôt jeune, ses cheveux blancs la faisait ressortir dans les tons boisés du lieu si bien que plusieurs clients s’étaient retournés à son passage, Kikyo les gratifia d’un regard réprobateur, c’était impoli de détailler une personne ainsi.

La barmaid retourna son attention sur la nouvelle arrivante qui demandait à passer commande. Une boisson à l’aloe Vera et sans alcool, voilà une demande qui était bien singulière, causant un léger froncement de sourcils et une brève réflexion, puis d’un sourire elle s’adressa à la jeune femme tout en cherchant ce qui lui serait nécessaire.

« Bien sûr, je vous fais ça tout de suite. Sans alcool et aloe vera...»

Attrapant un verre derrière le comptoir, Kiyo y versa un tiers de jus d’aloe vera, une demi-cuillère de miel, une pincée de gingembre, du jus de citron et un peu d’eau minérale avec une pincée de sel.
Une recette qu’elle avait testé chez elle il y a longtemps mais qu’elle ne servait pas au bar en général, les gens venaient plus pour ses alcools que pour boire du soft, mais cela reste un cocktail d’hiver plutôt agréable.
Kikyo déposa délicatement le verre devant la jeune femme espérant que la recette lui convienne.

« Voilà pour vous, prévenez moi si cela ne vous convient pas, je vous donnerai autre chose.
Vous voulez payer maintenant où je mets votre nom sur l’ardoise pour que vous puissiez régler toutes vos consommations en fin de soirée ?»

Amenant sa coupelle de saké à ses lèvres la Barmaid observa sa cliente un peu plus attentivement en attendant sa réponse, elle n’était sûrement pas japonaise mais devait vivre au Japon depuis déjà longtemps au vu de sa maîtrise de la langue, elle n’avait pas l’air d’être une habituée non plus du genre de bar que tient Kikyo, après tout le Kitsune no toriku était un endroit peu conventionnel au vu des évolutions technologiques de ces dernières années.

Après avoir commandé, ton regard qui avait dérivé détailla plus particulièrement l’horloge qui surplombait tout le bar. À bien y regarder, elle ressemblait à ces horloges françaises que tu avais déjà aperçu dans certains hôtels luxueux à Tokyo pendant ton enfance. Tu ne te souvenais plus du nom pour ne pas l’avoir assez entendu -et tu ne parlais de toute façon que peu français- mais tu savais qu’il s’agissait d’une pièce rare. Ainsi, la propriétaire poussait son côté traditionnaliste à travers les frontières… Intéressant. Ce détail apportait quelques petites précisions sur sa personnalité et également sur l’ambiance du bar. D’ailleurs, tu avais d’un coup d’œil vérifié que le sujet de tes investigations ne se trouvait pas en ces lieux. Tu devais glaner des informations à son sujet, et sur sa connexion avec DL et pas tomber nez à nez avec.

« Ah, arigatō バーテンダーさん。 (Bātendā san = barmaid) »

Ton attention fut de nouveau happée par la belle barmaid qui venait de pousser ton cocktail sans alcool vers toi. Grande (pour toi tout du moins, du haut de tes 156 centimètres sans talons, tout te paraissait gigantesque), pâle, fine mais avec des formes… Elle te faisait penser à une poupée en porcelaine. Et très certainement que les japonais devaient se traîner à ses pieds -et les japonaises aussi-. Mais tu n’étais pas là pour admirer !
Doucement, tu retiras l’un de tes gants pour attraper ton verre tout en redressant tes fausses lunettes de vue sur ton nez basané.

« Hm…  L’ardoise s’il vous plait ? Au nom de Rahman, merci~ Et je suis certaine que vos cocktails doivent être délicieux. J’ai lu beaucoup de commentaires positifs à votre sujet et au sujet de ce bar en surfant sur Jap Wab.»

Toute souriante, tu dodelinas tranquillement de la tête tout en dessinant faussement pensivement du bout de ton doigt nu sur la surface froide en verre. De ce que la jeune propriétaire dégageait, il était certain qu’un interrogatoire, même très indirect, aurait du mal à passer. Mais pour pouvoir interagir avec le reste des clients, il faudrait tout d’abord se faire une petite place auprès de la patronne.
Croisant son regard sur ta personne, tu détournas les yeux en rougissant faussement. Impressionnée par sa prestance et sa beauté, oui tu l’étais. Mais pas au point de perdre tes moyens.
Jouant la carte de la jeune fille un peu éblouie, tu pris une grande gorgée du cocktail et là… Ta surprise fut réelle, crédibilisant ton jeu d’actrice en mêlant mensonge subtil et vérité atténuée.

« Oh ! Je ne sais pas ce que vous avez mis dedans, mais c’est délicieux ! Je n’irais évidemment pas vous demander votre recette Bātendā-san, je sais que les barmans sont un peu comme les cuisiniers, les recettes sont précieuses… »

Et c’était vrai pour beaucoup de métiers. Une petite moustache du cocktail sur le haut de tes lèvres, tu te penchas légèrement pour attirer le regard de la propriétaire, si elle s’était détournée de toi pour un client ou une autre occupation.

« Excusez-moi, pourrais-je avoir une serviette s’il vous plait ? »

Tu aurais pu t’essuyer avec un doigt, mais tu n’aimais pas particulièrement avoir les doigts collants. Ah, ça t’arrivait plutôt régulièrement de rentrer salie d’une mission, mais devoir mis à part, quand tu pouvais être propre, tu ne te privais pas.
Faussement désolée, tu lui souris avant de regarder au hasard l’un des clients également accoudé au bar. Tu en profitas pour prendre place sur un tabouret en bois à dossier en ayant au préalable plié correctement les jupons de ta robe.

« Bonsoir ! Vous avez l’air d’être un habitué de ce joli bar ! Vous venez souvent ? »

Peut-être, peut-être pas. S’il en faisait partis, tu allais pouvoir glaner quelques informations. Apparemment, l’inconnu sembla bien heureux de ton interpellation et ne se gêna pas pour se rapprocher sans toutefois violer ton espace vital… Pour le moment.

« Bātendā-san, est-ce que le mobilier du bar est une collection d’antiquités ? Votre horloge est sublime… »

Tu ne sous entendais rien, et ne mentais pas, pour une fois. Tu trouvais réellement chacune des pièces présentes fortement charmantes. Bien que Okutama soit devenue en quelque sorte le berceau de la technologie au Japon, et que tu sois une fervente utilisatrice de cette technologie, l’élégance de l’ancien te séduisait tout autant.
Les éventails accrochés au mur piquèrent également ton amour de l’art et des belles choses… Malheureusement, (ou heureusement, tout dépendait du point de vue), l’ojisan présent à tes côtés te rappela à l’ordre en te demandant si tu n’étais pas trop jeune pour traîner le soir dans un bar. Ugh… Approche peu subtile.  Il n’avait pas l’air tant alcoolisé que cela pourtant… Peut-être une overdose de solitude dans sa vie ?

À bien y regarder, cet homme dénotait beaucoup avec le reste du bar qui restait élégant et traditionnel. Lui te faisait penser à un torchon qui avait été beau et doux à une époque… Mais qui, actuellement, ressemblait à un amas de tissus beaucoup trop usé pour être encore utile.
Néanmoins, n’ayant pas encore eu ce que tu voulais, tu choisis de rester courtoise et de rester un minimum active dans la conversation qui pouvait passer de deux à trois si la barmaid choisissait de se joindre à vous. Ton verre presque vide, tu le reposas sur le bois ancien, dans l’idée de commander autre chose. Le même nectar ?... Ou quelque chose de totalement différent ? Alcoolisé ? Ou sans alcool ? ...

Tu n’en savais rien. Et le flux de paroles de l’homme d’âge mûr assit à un tabouret de toi n’était pas là pour t’aider à te décider. Tu allais user de la même démarche qu’avec la barmaid, il te fallait d’abord t’intéresser avant de commencer à poser quelques questions innocentes. Mais si cette soirée t’avait semblée un peu trop simple au premier abord, tu ne pouvais pas t’empêcher de te dire que ce lieu semblait idéal pour d’évènements… Coupé de la technologie, plutôt intimiste, chaleureux…

« Bātendā-san, pourrais-je avoir… Hm… Est-ce vous me conseillez un cocktail en particulier ? »

Tu n’avais pas précisé s’il devait être avec ou sans alcool, tu avais envie d’avoir une proposition totalement libre de la jeune femme.