Tu avais beaucoup de mal à rester tranquille ces derniers jours. Tu n’arrêtais pas de tourner la tête à droite puis à gauche, plusieurs fois de suite, pour apercevoir une touffe de cheveux en particulier dans la rue. Tu espérais le trouver au hasard, avec toute la motivation dont tu pouvais faire preuve, mais autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Okutama était maintenant habitée par de nombreuses personnes, et même si ce n’était pas autant que la capitale, la population devenait tout de même conséquente. Tu te retenais d’allumer une cigarette alors que le même petit stress se faisait une place douillette dans ton cerveau depuis quelques jours. Il semblait avoir élu domicile dans ton ventre aussi, cela était fortement désagréable. Tu continuas de marcher, en essayant de ne pas toucher les gens sur le trottoir, en direction de ton quartier résidentiel. Tu n’étais pas fan des transports en commun, tu préférais largement faire du vélo, ou marcher un peu, tu n’avais pas peur des kilomètres. Tu fixas le ciel un instant, la neige tombait doucement du ciel, enveloppant la ville d’un manteau froid mais festif. Cela te rappelait des souvenirs, oh oui de magnifiques souvenirs …

Tu ne t’étais pas rendu compte que tu avais fermé les yeux en plongeant si profondément dans ta mémoire, et puis soudain, tu redescendis sur Terre lorsqu’une bousculade te sortit de tes songes. Ton regard glacial et menaçant se porta immédiatement sur un homme d’une quarantaine d’années, aux traits fatigués. Son visage afficha une seconde de la colère, mais lorsqu’il accorda de son attention à ta personne, se focalisant sur ta face, il se retint de lancer une réflexion, s’excusa en bafouillant et reprit son chemin comme si de rien n’était. Tu haussas un sourcil puis les épaules avant de repartir toi aussi dans la direction qui t’intéressait. La ville était incroyable, rien à voir avec ce que tu avais connu durant ta jeunesse, les publicités immenses collées aux immeubles, les passages piétons croisés dans tous les sens, les voitures partout, les tramway également, et puis ces petits robots qui géraient une bonne partie du nettoyage des rues. C’était impressionnant, mais chaque jour, tu regardais cela avec des yeux livides comme si rien n’avait d’importance. Tu avais simplement du mal à exprimer autre chose que du mépris quotidiennement. Après tout, tu avais perdu ton seul moyen d’être heureux …

À la croisée du carrefour qui séparait « en deux » les riches et les gens comme toi, tu aperçus au tournant d’une rue, une chevelure bicolore qui te ramena immédiatement à cette fameuse nuit. Tu eus d’abord l’impression d’un mirage, mais ton instinct réagit en premier. Tu décidas donc de prendre de l’avance de quelques rues en marchant à une allure rapide. En vérité, la longueur de tes jambes te donnait une bonne marge de manœuvre. Il fallait maintenant que tu réfléchisses à créer un premier contact. Tu n’avais pas l’habitude de la subtilité, bien au contraire, tu étais du genre à foncer dans le tas, et faire comme tu le sentais sur le coup. Seulement là, il fallait y aller en douceur, pour essayer de savoir ce qu’il avait vu cette nuit-là, Cela pourrait te faire basculer et tu ne voulais pas cela. Tu ne voulais pas retourner en prison, privé de tes malins plaisirs …

Une fois que tu fus sûr que tu étais bien loin devant, tu pris une ruelle afin d’arriver en sens inverse de la personne que tu visais. Tu réfléchissais encore à un moyen de créer un contact, un truc bête, peu importe mais tu n’étais clairement pas doué pour cela. C’était le vide intersidéral dans ton esprit. Tu n’étais créatif que sous certaines conditions … Plus tu avançais, plus tu apercevais sa silhouette au loin, qui s’approchait dangereusement de toi. Tu mis tes mains dans les poches de ton immense manteau, sans savoir ce que tu allais faire. Et puis, tu passas à côté de lui, le bousculas légèrement par mégarde. Tu entendis un petit bruit de verre cassé sur le sol mais vaguement, tu réfléchissais encore à comment faire pour l’aborder naturellement sans paraître trop étrange. Tu ne t’étais même pas rendu compte que ton SCHA était tombé de ta poche.

Tu ouvris les yeux paisiblement, allongé dans ton lit. Tu poussas un soupir, tout en te levant pour aller chercher ton paquet de cigarettes posé sur un coin de la table de la cuisine. Tu cherchas ton briquet quelques minutes du regard sans le trouver, puis allumas le gaz de ta cuisinière pour allumer tranquillement le bâton blanc. Tu te dépêchas de sortir sur ton pauvre petit balcon afin de ne pas enfumer ton appartement, tu aimais que ça sente bon alors autant éviter d’envahir ton lieu de vie de ce poison. Tu ne te souvenais même pas de la raison pour laquelle tu avais commencé à faire ça, mais tu continuais sans chercher de prétextes. Tu te faufilas dehors, vêtu uniquement d’un col roulé noir qui couvrait ton cou jusqu’à ton menton, et regardas la neige tomber paisiblement sur la ville. Tu commençais à apprécier le calme de ta nouvelle vie, même si tu savais qu’il te manquait quelque chose. Un petit élément qui te faisait sentir vivant … Cette dose d’adrénaline qui avait autrefois couler dans tes veines … Tout ceci, avait disparu, parce que tu avais décidé de prendre ce nouveau départ comme une … Chance ? Bénédiction ? Occasion ? Tu n’en savais rien, tu vivais juste au rythme de tes envies, mais certaines, oui, les plus puissantes, étaient enfermées dans la petite cellule qui t’avait accueilli pendant trois ans.

Ah, il y a quelques années, tu avais pensé qu’allumer une cigarette pourrait être amusant, comme ce que tu faisais avant. Avec l’espoir qu’un jour, cela suffise, tu avais continué, mais la nicotine ne t’aidait pas. Tu le faisais juste par habitude aujourd’hui.

Tu tiras sur le bâton blanc puis recrachas la fumée dans les airs. On ne voyait que très peu la différence entre ton souffle chaud et le brouillard de poison, mais qu’importe. Ton regard vide se porta sur le ciel, pensif, tu te souvenais encore de ce jour où tu avais bousculé ce gamin. Sur le coup, tu avais trop réfléchi, tu avais même fait tomber ton SCHA, les réparations de ce bidule t’avait coûté un bras … Mais en racheter un aurait été encore plus coûteux. Cela t’avait bien embêté, mais le type qui t’embauchait à la boutique de tatouage avait accepté que tu fasses plus d’heures afin de ne pas devoir te serrer la ceinture sur la nourriture. Il te disait souvent que tu étais mince, que tu devais manger plus pour tenir le coup. Pourtant, tu ne te trouvais pas si fin lorsque ton regard croisait ta silhouette livide dans le miroir.

Avec cette péripétie, tu avais loupé l’occasion de parler avec ce gosse. Tu n’avais réfléchi qu’après coup que tu aurais du entamer la conversation, ou même … Faire quelque chose. Au lieu de cela, tu avais simplement fixer cet inconnu, le cerveau et le regard vides pour ensuite ramasser ton appareil et partir en le remerciant de t’avoir prévenu. D’un point de vue normal, c’était une réaction totalement dépourvue d’émotion, mais à l’intérieur, ça avait été le bordel. Tu étais le genre à réfléchir souvent, à tout et rien, à calculer la moindre chose de ta vie, mais là, ça avait été impossible. Tu tentais depuis ce jour, de savoir pourquoi, et le fait de ne trouver aucune réponse à cette question te taraudait l’esprit. Ce gamin hantait ton esprit pour plusieurs raisons, et cela t’agaçait.

Après avoir écrasé la cigarette sur le cendrier, tu laissas l’odeur dehors tandis que tu rentras au chaud pour retirer tes affaires et les mettre soigneusement dans la machine à laver. Tu attrapas des vêtements propres au parfum de lessive dans ton armoire pour les enfiles, puis te dirigeas vers ta cuisine pour ouvrir un placard et prendre dans ta grande main, un petit sachet de pâté pour chat. Tu plaças deux petits bols en plastique, un blanc et un rouge, dans un sac en papier, avec la nourriture et une petite bouteille d’eau. Tu pris tes clés en te dirigeant vers la porte d’entrée, une veste avec fausse fourrure sur le col posé sur l’épaule, et empruntas les escaliers de ton bâtiment plutôt que l’ascenseur après avoir fermé la porte et vérifié deux fois que tu l’avais bien fait. Tu cliquas sur le bouton pour sortir de l’immeuble, et attendis quelques instants en observant le ciel. Tu soufflas un nuage d’air chaud de ta bouche qui provoqua une fumée éphémère, puis contournas ton bâtiment pour t’approcher du petit parc environnant. Tu marchas quelques instants sans rien dire, avant de poser tes fesses sur un banc ainsi que le petit sac en papier, qui fit un bruit distinctif lorsque tu le bougeas. Tu entendis un bruissement dans un petit amas de buisson et une tête poilue sortie pour observer les alentours. Il te fixa quelques instants avant de courir vers toi et monter sur tes genoux, à la recherche de câlins. Un léger sourire brisa la froideur de ton visage. Quelques minutes après, tu versas le contenu du sachet de pâté dans le bol rouge et un peu d’eau dans le blanc. Tu restas alors assis là, dans le silence de la neige, en attendant que le petit bout termine son repas.

Tes doigts passaient sur le pelage doux de ce petit animal. Tu avais toujours pensé que tu ne pourrais pas t’attacher à ces bestioles, mais tu le nourrissais au moins une fois par jour, si ce n’était deux quand tu n’avais rien d’autre à faire. C’était comme un rendez-vous, toujours à la même heure, toujours les mêmes bols, rouge et blanc. Tu le regardais ronronner, pencher sa tête et la coller contre toi pour plus de caresses. Tu aimais le son si particulier du ronronnement d’un chat. Tu les aimais sûrement parce qu’au fond, ils te ressemblaient. Ils étaient indépendants, n’avaient pas besoin de compagnie pour s’en sortir, pour vivre, pour se nourrir, et ils protégeaient leur territoire. Parfois au péril de leur vie. Lorsque tu le câlinais de cette façon, tu prenais aussi le temps de l’examiner d’un œil bienveillant. Tu veillais à ce qu’il n’ait pas de blessures, de puces ou autres cochonneries. Il semblait bien aller, peut-être avait-il même trouvé une maison où aller. Tu relâchas une bulle d’air chaude dans l’atmosphère gelée, et levas la tête vers le ciel, suivant la disparition de la fumée. Ce ne fut que lorsque le chat descendit de tes genoux, que tu lui donnas à manger. C’était en quelque sorte le signal. Il disait bonjour, puis te fixait avec ce petit air de filou en attendant avec une touchante impatience que tu le nourrisses.

Tu déchiras le haut du sachet et fis glisser le contenu dans le bol rouge, que tu posas immédiatement sur le sol. Tu remplis de moitié le bol blanc d’eau tempérée et répétas ton geste précédent. Il ne te restait plus qu’à attendre qu’il finisse. Tu fermas une minute les yeux, te calant contre le dossier du banc en bois, profitant de la quiétude du parc à cette heure-ci. La neige dissuadait les gosses de crier et courir dans tous les sens, ce qui était vraiment reposant. Si tu ne risquais pas de finir en glaçon, il était certain que tu viendrais plus souvent, et resterais plus longtemps.

Tes oreilles captèrent le bruit significatif d’un appareil photo à quelques mètres et directement ton attention se porta sur la personne qui venait déranger ton moment. Sans que tu n’aies le temps de comprendre quoi que ce soit, une touffe de cheveux bicolore se dirigeait vers toi, le regard ancré sur la boule de poils qui terminait de manger. À l’évidence, tous les deux se connaissaient bien, puisque après avoir terminé son bol, le félin se dirigea en trottinant vers l’individu. Tu n’osas pas bouger, tu ne savais pas s’il t’ignorait ou s’il ne t’avait tout simplement pas vu. Tu te contentas de le fixer, de le détailler de tes yeux bruns à l’intensité détectable. Tu ne savais absolument pas comment l’aborder, les mots ne te venaient pas. Comme la première fois que tu avais forcé une rencontre. Tu te sentais bête, et pourtant, ton visage ne changea pas d’un pouce, ton regard ne faillit pas non plus sur son observation longue et détaillée.

Tu te retins de faire quoi que ce soit, lorsque son regard se posa enfin sur toi, remontant ta longue silhouette fine. Tu te forças à ne pas te défiler et maintins le contact visuel. Ton expression hautaine, ta peau claire rivalisant avec la couleur de la neige, tes pupilles marron lesquelles n’étaient pas habillées par les lentilles de ton SCHA, tu ressemblais à une statue de marbre. Tu étais figé, incapable de décrocher un mot. Qu’étais-tu censé faire en compagnie de quelqu’un ? Peut-être devrais-tu investir dans un livre sur les relations sociales, les échanges basiques entre deux humains. L’individu s’inclina poliment, tu réagis alors de manière naturelle et logique, ta tête se pencha également vers l’avant, sans ajouter quoi que ce soit.

Tes yeux continuaient de le fixer sans réellement penser à quelque chose en particulier. Tu appréciais la beauté singulière de ses iris vairons. Tu n’en avais encore jamais vus, tu te demandais s’il s’agissait de lentilles colorés ou de la couleur naturelle de ses yeux. Une question que tu ne poserais pas, bien évidemment. Le cours de tes pensées fut coupé par une boule de poils qui monta à nouveau sur tes genoux. Toi, le maniaque, n’avais pas eu le temps de ranger les bols, tant tu étais absorbé par cet inconnu. Le hasard s’acharnait sur toi, sans que tu ne puisses contrôler quoi que ce soit et cela t’agaçait. Le chat se frotta sur ton manteau noir, y laissant quelques poils par ci, par là. Tu devrais nettoyer tout cela en rentrant. Il changea alors de mains et se dirigea vers les jambes de l’inconnu. Pendant ce temps, tu attrapas le bol rouge pour le glisser dans le sac en papier, et tu t’apprêtas à ramasser le deuxième, quand de nouveau, le félin se décida à changer de maître temporaire. Il se redressa sur ses petites pattes arrière, et cogna sa tête sur le bol en voulant demander des caresses. Le contenu du récipient blanc se renversa sur le pantalon du bicolore, du milieu de la cuisse jusqu’à ses chaussures. Le chat prit peur après la chute du bol, et toi tu restas quelques secondes figé. Ce genre de maladresse ne t’arrivait jamais, tout était calculé, alors pourquoi … Satané chat. Tu fronças les sourcils, et regardas la jambe mouillée d’eau froide. « Je m’excuse … Je n’ai pas fait attention, et tout s’est renversé sur vous … » Dans l’immédiat, tu n’avais pas vraiment de solution, tu ne savais pas quoi faire.

Le dilemme qui s’offrait à toi était maintenant de taille. Ta politesse exagérée et presque maladive ne t’autorisait pas à laisser le jeune homme dans une telle situation par ta faute. Certes, le chat t’avait perturbé autant que la présence du bicolore, mais en général, tu faisais attention à tes faits et gestes. Pourquoi étais-tu si maladroit tout à coup ? Difficile de trouver une explication. La deuxième possibilité était de t’excuser encore une fois et attendre de voir sa réaction, peut-être qu’il proposerait quelque chose. Quelque chose qui pourrait te sauver de faire un choix quant à la suite. Tu restas alors un peu bête, tu remarquas la surprise et l’embarras sur son visage lorsque l’eau colla son pantaln sur sa peau. Tu savais que la sensation d’avoir un tissu mouillé sur soi était désagréable, et c’était d’autant plus vrai sur les cuisses. Qui plus est, ce n’était pas comme s’il faisait un froid de canard à l’extérieur en cette période de l’année … Tu serras les dents. À nouveau, les mots te manquaient sur ta bêtise.

Il essaya de te rassurer, mais son expression prouvait qu’il était surtout gêné, plus qu’autre chose. Situation délicate et périlleuse pour toi. Que faire. Tu commençais à ne plus savoir où tu étais tant tu réfléchissais à une alternative. Tu haussas un sourcil lorsqu’il te confia que cela sècherait naturellement tout seul. Tu avais envie de lui demander s’il se moquait de toi, ou s’il était juste trop poli pour te dire que tu étais idiot. Tu pris une grande inspiration silencieuse, comme pour te donner du courage pour la suite. « Peut-être … » Tes mots avaient été quasiment inaudibles, si bien que tu l’entendis te dire qu’il allait rentrer chez lui, que ce n’était pas loin. Tu restais sceptique face à cette révélation. Lors de la dernière rencontre, il semblait se balader dans le quartier regroupant les riches de la ville, alors qu’ici, c’était l’entre-deux. Tu ne voulais pas paraître prétentieux, mais tu étais certain à quatre-vingt dix pourcents qu’il vivait là-bas. Rien qu’à regarder son attitude, sa manière de parler, et la valeur de ses vêtements.

Tu finis de ranger à la hâte les bols dans le sachet, avant de te lever et le regarder du haut de ton immense silhouette. « Je vis dans l’immeuble juste derrière. J’aimerai réparer le tord que je vous ai causé, je peux rapidement sécher vos vêtements afin de ne pas vous faire perdre trop de temps. » Ta voix grave et posée retentit dans le calme reposant de la neige, de quoi briser le silence qui venait de s’installer. Le sujet du chat avait été mis de côté, tu voulais faire quelque chose. Ton éducation ne te permettait pas de prendre l’état du nouvel arrivé à la rigolade. Un rhume était très vite tombé, surtout en cette période de l’année. Avant d’arriver à cette invitation, tu avais eu plusieurs idées. La première était la plus simple : le laisser rentrer chez lui et profiter de cette dernière rencontre pour clore le sujet du soir où il t’avait vu tabasser un type. La deuxième envisagée était plus complexe, du fait que tu ne voulais personne chez toi. Pas un seul voisin, pas une seule connaissance n’était entrée chez toi, cela te mettait plus que mal à l’aise. Tu avais surtout l’impression qu’on violait ton intimité et qu’on salissait les murs jusqu’en passant à côté, ou en les regardant. Il faudra que tu refasses un peu de ménage, tu ne voulais pas paraître négligé … Oui, toutes ces pensées un peu idiotes avaient traversé ton esprit conservateur en quelques petites secondes seulement. Et donc, si tu n’avais pas finalement décidé de le faire venir CHEZ TOI, il aurait fallu trouver un moyen rapide de le sécher. Pas évident quand on est dehors, sous cette neige, dans ce froid, couvert d’embarras.

« J’insiste. » Ta voix avait paru plus sèche, plus brute, comme un ordre donné sans attendre qu’on te défie du contraire. En réalité, tu étais encore plus tendu qu’une corde à linge entre deux arbres. Si tu n’étais pas doué pour parler avec les gens, tu l’étais encore moins pour accueillir une personne dans ton antre de loup solitaire …

Il allait refuser ton invitation. Tu le voyais dans son regard décontenancé par ta hauteur insolente. Alors une certaine anxiété t’avait envahi, te poussant alors à insister lourdement d’une voix grave et autoritaire. Tu ne savais vraiment pas comment faire pour parler aux gens, ou pour leur venir en aide. Toi, le seul contact que tu avais, c’était la torture. La torture de tes douces années de jeunesse ou bien celles de gratter la peau des gens avec une aiguille d’encre. Tu n’étais pas vraiment féru des autres échanges, ton patron avait du mal à te cerner mais pour lui, tu étais simplement un artiste au grand talent alors il te laissait faire à ta guise. Tu te préparais à essuyer un nouveau refus, mais sa réponse, bien que hésitante, te laissa pantois. Vraiment ? Il acceptait ton aide ? C’était une première, mais tu étais plutôt fier. Ton visage s’adoucit une seconde en inclinant légèrement la tête, avant de tendre le bras en direction du bâtiment derrière toi, lui indiquant le chemin. « Je vous rassure que cela ne prendra pas longtemps. » Ton regard glissa à nouveau sur sa petite silhouette d’enfant, tu te demandais alors quel âge il pouvait avoir, et comme un éclair de lucidité, tu te souvins qu’il était potentiellement un témoin du passage à tabac d’un agresseur de chat … Peut-être qu’il s’agissait d’une occasion pour … Oui mais comment ? Tu sortis de tes songes lorsqu’il se présenta finalement à toi. « Ravi de le savoir. Je m’appelle Yasuhisa. » Tu n’avais pas l’occasion de te présenter assez souvent donc, le plus court et net possible, c’était le mieux.

De tes grandes jambes, tu marchas alors près de lui, sans pour autant le toucher. Tu t’arrêtas une seconde pour regarder derrière toi, et voir si le chat était bel et bien parti. Aucune trace de lui à l’horizon, tu espérais quand même que tu ne l’avais pas effrayé à cause de tes gestes brusques. Tes pas étaient comme mesurés, calculés au millimètre près pour ne pas le dépasser, ni l’embarrasser en étant trop proche de lui. Tu voulus soupirer, mais cela aurait paru beaucoup trop impoli alors tu te retins. Devant la porte du bâtiment, tu pris les clés que tu avais en poche et passas le badge pour pouvoir ouvrir. « Préférez-vous prendre l’ascenseur ou les escaliers ? » Mais tu n’attendis pas réellement sa réponse pour appuyer sur le bouton de l’ascenseur. C’était le plus logique après avoir réfléchi quelques secondes, tout le monde préférait monter dans une cage métallique plutôt que de se fatiguer. De plus, il avait le pantalon mouillé alors le moindre effort lui ferait sentir ta bêtise, il valait donc mieux éviter. Tu cliquas sur un numéro et te calas dans un coin, sans rien dire, te forçant à ne pas le fixer, comme tu l’avais fait. Tu te disais qu’à force, il te prendrait pour un fou et voudrait sûrement rentrer chez lui. Bien que l’idée de séquestrer un homme ne te dérangeait pas, il fallait que tu chasses ces pensées de ton esprit.

Une fois à la hauteur de ton étage, la boîte provoqua une petite secousse causée par la brutalité de l’arrêt. Tu descendis le premier, en faisant attention à ne pas le toucher, ou le bousculer. Ton trousseau de clés toujours en main, tu ouvris donc ta porte avec la carte électronique que l’on t’avait donnée lorsque tu avais emménagé dans cette ville futuriste, et poussas la porte, sans pour autant entrer dans l’appartement excessivement propre. « Enlevez vos chaussures, et restez dans l’entrée. » Toujours avec ce ton désagréable et autoritaire, alors qu’il s’agissait simplement de ta manière d’être et de parler. « La cigarette vous dérange ? » Même si tu doutais que l’odeur de nicotine ait imprégné l’ambiance de ton appartement, tu voulais tout de même être sûr qu’il n’avait pas une sorte de répulsion à ce parfum. Après tout, il avait été assez près de toi dans l’ascenseur, et tes vêtements devaient sentir un peu malgré tes précautions mais bon ...