Un soupir traversa ta bouche. Rencontrer une famille traditionnelle d’Okutama était comme se tirer une balle dans le pied et revenir à quelques années en arrière. Repousser tous les efforts que tu avais fourni jusqu’à ce jour. Cependant, tu ne pouvais nier que mettre le Clan dans les petits souliers de la Haute Société d’OTEC était une stratégie intéressante. Tu n’avais pas chômé depuis ta disparition de la circulation, et tu ne comptais pas rester les bras croisés, maintenant que tu étais revenu. Devant le miroir de ton immense chambre typiquement japonaise, tu attrapas tes cheveux, et laissas tes doigts glisser jusqu’à leur extrémité. Pas un seul nœud, pas une seule fourche. Tu les remontas en une longue queue de cheval, et commenças à enfiler ton kimono d’hiver. Les températures avaient baissé ces derniers temps, même Okutama n’était pas à l’abri du climat japonais.

« Yasuhisa-sama, j’aimerai m’entretenir avec vous avant notre départ. Puis-je entrer ? » Cette personne derrière la porte coulissante était certainement ton meilleur allié. Tu avais une confiance aveugle en sa loyauté, elle avait prouvé plusieurs fois qu’il ne faillirait jamais à sa tâche. Même si tu estimais que tu n’avais pas besoin d’une quelconque protection,  il était nécessaire que quelqu’un comme elle agisse comme l’image du clan en dehors des murs du domaine, sous certaines conditions. À l’intérieur de la maison, tu étais le chef, tous les hommes le savaient. Pour garder la discrétion absolue face au Detekuru Lab, ton identité devait rester cachée auprès de certaines familles, certaines entreprises. Alors cette femme que voilà te « remplaçait » à la perfection.

« Oui, viens. » Bala s’inclina poliment et commença à t’exposer les faits de la rencontre. La discussion tourna alors autour de ce que tu pourrais évoquer ou pas, étant donné que cette famille n'était pas très fan de technologie. Bala te donna quelques informations utiles pour que tout se passe bien, elle avait d'ailleurs vérifié qu'ils n'avaient aucun lien avec Detekuru. Pas de technologie visible, il faudrait alors que tu optes pour une paire de lentilles, histoire qu'elle puisses également avoir accès à ce qu’il se dit, et qu'elle puisse enregistrer des choses que, éventuellement, toi, tu aurais oublié. C'était aussi la meilleure façon pour faire un rapport de la situation après coup. Dans tous les cas, l’échange serait enregistré grâce au SCHA de ton "homme" de main. Tu doutais fortement qu'on la laisserait entrer et participer à l’échange, vous aviez donc tout prévu. Ta fidèle amie t’aida à enfiler ton kimono, par habitude ou politesse, tu ne savais pas trop. L’habillage ne dura que quelques minutes, bien moins de temps que si tu l’avais enfilé toi-même. Tu sortis enfin de ta chambre, longeant un immense couloir avant d’atterrir dans la pièce à vivre. Quelques hommes en train de prendre leur petit déjeuner sur les zabutons, s’arrêtèrent de manger et s’inclinèrent jusqu’à poser leur front sur le sol en tatami. Tu les saluas d’un geste de la main, leur intimant par la même occasion de continuer, et demandas à ton homme de main de te prendre un café sur la route. Il était l’heure, vous deviez partir pour rencontrer Saito-san.

Après avoir placé tes lentilles SCHA sur tes yeux, tu rejoignis la voiture, la portière était tenue par ton chauffeur habituel. Une légère conversation sur les sujets à aborder à nouveau avec Monsieur Traditionaliste remplit le véhicule durant le trajet, jusqu’à ce qu’une courte pause soit faite pour te prendre un café à emporter. Tu étais beaucoup plus un "coffee man" qu’un "tee man", mais tu faisais des efforts lorsque c’était nécessaire. Après tout, tu pouvais t’avérer être un bon acteur quand tu y mettais du tien.

Le reste du voyage se fit dans un silence reposant. Ta compagne de voyage consulta quelques papiers qu’elle avait en main, tandis que tu te reposais les yeux. Passer la nuit au club était tout à fait faisable, mais seulement lorsqu’il était possible de dormir plusieurs heures une fois le soleil levé. Adieu sieste matinale.

Une heure plus tard, te voilà donc dans le jardin japonais de la famille Saito, à attendre que le cher Monsieur Police te reçoive. Ton homme de main t'avait alors suivi un instant, avant que tu ne lui demandes à nouveau un petit service. Tu te perdis dans tes pensées un instant, tu étais toujours un peu surpris de la voir interpréter ton personnage de cette façon, c’était comme parler devant un miroir, celui-ci reproduisant absolument toutes tes mimiques, tes paroles, ta façon de positionner tes mains et de t’exprimer. Déconcertant.

Ce n’était pas la première fois que tu observais un jardin japonais comme celui-ci, mais cela avait toujours le don de t’émerveiller. Le long des allées de bois, autour des demeures traditionnelles, tu marchais tranquillement, le regard plongé dans tes réflexions, perdu dans le paysage. Un bruit te ramena sur terre, mais tu décidas d'agir comme si tu n’avais rien entendu. Tu t’arrêtas simplement et aussi naturellement que possible, pour t’appuyer contre une poutre verticale. Un courant d'air souffla dans tes cheveux, ta queue de cheval passa au-dessus de ton épaule et virevolta au gré du vent. La nature était magnifique, à condition qu’on ne la contrarie pas. Une petite voix s’éleva polie et délicate, non loin de toi, pour te saluer, tes yeux se posèrent immédiatement sur son visage. Celui-ci souillé par une cicatrice immonde, tu te forças à ne pas t'attarder dessus. Tu fronças les sourcils, l’observant. Son style n’avait rien de traditionnel, était-ce un voleur ? Tu continuais de le dévisager avec insistance, essayant de juger s’il était bon ou mauvais. Seuls quelques échanges pourraient t’aider à avoir le cœur net. « Bonjour. »

Tu ne savais pas bien ce que tu devais lui dire ; à part avec tes gars et tes clients, tu ne parlais pas beaucoup en face à face avec des inconnus. Peu importe leur nature, le contexte ou leur situation. Tu avais envie de soupirer, pour empêcher une certaine anxiété de te gagner. « N’avez-vous pas froid ? » Oui, c'est bien, une discussion aléatoire sur la température, bien joué Katsuki.

La vérité était, que sous ton kimono d’hiver, épais comme la fourrure d’un chat en cette période, tu avais chaud. Tu n’avais pas pour habitude de porter ce genre d’accoutrement même si tu adorais cela, et là … Tu avais peut-être abusé sur l’épaisseur requise pour ce genre de températures. Tu voulais te gifler pour avoir sorti une question aussi banale, mais trop tard, le jeune homme te répondait déjà. Le pire dans toute cette situation, c’était que le gamin avait raison. Tu aimais bien ce temps, tu pouvais l’affirmer parce que tu sortais quand même tous les jours pour aller travailler. Si tu avais été chez toi, tu te serais installé sur ton balcon et tu aurais allumé une cigarette. Ce que tu loupais était grandiose ... Ou alors tu aurais branché ton casque et aurait jouer à Memoria comme quelqu'un qui n'a rien d'autre à faire.

L’instant d’après, alors que tes yeux étaient posés sur tes manches pour voir si tes tatouages étaient toujours cachés, ou pour vérifier que le maquillage tenait toujours aussi bien sur tes mains, tu le fixas pour remarquer un certain jugement dans le regard du bicolore. Tu n’étais pas aussi bête pour croire que tout ceci lui plaisait. Au contraire, son look respirait la rébellion contre cet empire de traditionalisme et il voulait s’en échapper. Tu te demandais s’il avait au moins le droit à un SCHA. Peut-être que ses parents ne voulaient tout simplement pas, et vu le côté très … Rigide de la famille que tu venais de rencontrer, cela ne t’étonnerait pas. À priori, il n’était pas un voleur mais un membre de cette supercherie.

À la parole suivante du jeune, tu avais eu envie de rire, de te démasquer, mais tu restas sérieux finalement. Toi, homme de main ? Yashisa ? Il était vrai que les adolescents aimaient bien les coups bas de ce genre, déformer un nom de famille pour un autre. Peut-être aussi qu’il n’avait pas retenu les syllabes qui formaient le nom de ton clan. Dans tous les cas, tu ne te prêteras pas au jeu. Tu laissas un sourire légèrement mesquin s’afficher sur tes lèvres avant que tu ne portes ton regard sur le jardin. « Peut-être que « Yashisa-sama » est avant tout mon ami. Et puis, je ne raterai la beauté de ce paysage pour rien au monde … »

De nouveau, ton regard finit dans le sien. Il n’avait pas l’air de décrocher ses yeux de toi, de ta personne. Pourtant, s’il n’était pas à l’aise en présence de gens comme toi, que faisait-il ici ? Dans son monde, il ne semblait pas y avoir de place pour toi, mais l’étroitesse d’esprit de la Société ne permettait pas une cohabitation parfaite entre les valeurs traditionnelles du Japon et la Technologie Avancée qui était aujourd’hui monnaie courante à Okutama. Toi, tu étais le parfait exemple pourtant. Si seulement tu avais le temps de t’étaler sur ta vie, tu le ferais. Cependant, tu restais tout de même trop réservé pour déballer quoi que ce soit de toi. En plus, tu étais en mission secrète, hors de question de parler pour ne rien dire au final. Ou en dévoiler trop sur toi. Ou tes projets. Tes pensées allaient trop loin, beaucoup trop loin, il était temps que tu reviennes dans le moment présent.

« Que pourrai-je bien rater ? » La réunion avec le Maître de Maison ne devrait pas être si passionnante. Tu n’avais pas à t’inquiéter de votre futur échange, donc aucun stress en vue, tu pouvais donc perdre ton temps à traîner ici. « Je dirai que j’apprécie d’attendre dehors un fidèle ami, et que j’avais également envie de visiter la demeure. » Tu te raclas la gorge, réprimant un sourire. C’était comme jouer au chat et à la souris. « Puis-je vous demander votre nom ? » Il serait intéressant de savoir qui se trouvait en face de toi, tu aimais bien ne pas nager dans le néant, à échanger des banalités avec un inconnu. Tu te forçais à paraître bien, alors que tu voulais juste courir jusqu’à la voiture, où ton chauffeur attendait patiemment ton retour, ainsi que celui de l’imposteur qui te remplaçait volontairement.