Tu jetas un œil sur ta montre ; les aiguilles indiquaient qu’il était bientôt l’heure. Tu étais déjà sur place depuis environ quinze minutes, tu n’aimais pas être en retard. Avec les transports en commun, il valait mieux partir en avance. Même s’il était rare qu’il y ait des problèmes à Okutama, cela pouvait tout de même arriver. La neige continuait de tomber sur la ville, mais le soleil adoucissait le tout d’une couleur doré agréable. Les températures paraissaient moins basses avec les rayons qui coulaient des cieux comme des fontaines de richesse infinie. Tu avais le nez levé sur le bleu timide du ciel, parsemé de fin nuages blancs qui persistaient à rappeler que l’hiver n’était pas prêt de quitter le pays. Tu avais enfilé un t-shirt noir, et par-dessus, un pull à capuche ample de couleur noire et jaune. Ton jean était noir avec quelques chaînes argentées pendantes sur le côté droit de ta cuisse, tu avais mis ton SCHA version lentilles sur tes yeux, leur donnant une teinte grise comme tu aimais, et un masque noir en tissu était posé sur la partie inférieure de ton visage.

Avec l’idée de trouver au plus vite ton interlocutrice d’il y a deux jours, tu avais ouvert ton immense cahier à dessin pour écrire, le plus soigneusement possible, les nom et prénom de la femme. Peut-être qu’en se rendant dans la Serre, elle te croiserait. Tu n’avais pas pensé à échanger les contacts SCHA, ce qui en soi, était vraiment bête, parce que cela aurait pu être vraiment utile. Tu n’étais pas doué pour accoster des inconnus, donc le plus simple restait encore cette solution. Sur le revers de la page qui affichait maintenant l’identité de ton rendez-vous, tu commenças à dessiner la scène que tu avais imaginée juste avant. Le ciel bleu et des fontaines d’or en guise de rayons de soleil en tombant. Il était rare à ta sortie de prison que tu dessines des paysages. Ta seule envie lorsque les seuls murs que tu voyais au quotidien, étaient gris, ternes, et mornes, était de revoir certains visages. Alors tu avais eu envie de les dessiner. Les débuts avaient été compliqués, et tu avais balancé plus d’une fois ce carnet de dessin qu’on avait bien voulu te donner à travers ta cellule. Mais tu avais eu largement le temps de créer des œuvres d’art en trois ans d’enfermement, et parfois, périodes d’isolement. En arrivant là-bas, tu avais un caractère hautain, provocateur et tu n’hésitais pas à te confronter à des résidents plus vieux que toi. Tu avais reçu de bonnes corrections, mais tu avais riposté avec autant de ferveur et de violence. Le temps avait passé, on t’avait laissé tranquille en voyant que personne ne pourrait faire de toi un animal docile, ou une victime à attraper dans les douches. Tu avais fait des choses très moches à certains prisonniers d’ailleurs. Il avait bien fallu passer le temps et assouvir certaines de tes pulsions …

Un frisson d’excitation parcourut ton corps entier, te laissant rêver encore un instant. Sans t’en rendre compte, les fontaines dorées s’étaient transformées en cascade de sang, dont certains morceaux humains tombaient avec. Tu soufflas dans ton masque et refermas rapidement ton carnet, relevant par la même occasion les yeux sur la foule. Une silhouette attira ton attention, une forme féminine aux valeurs traditionnelles prononcées parmi la foule qui se dirigeait vers l’entrée. Ton humeur devenue presque excessivement bonne, tu te frayas un passage à travers les gens pour aller rejoindre cette femme. Avec une certaine hésitation, tu tendis ta main vers elle comme pour toucher son épaule, mais t’empêchas de le faire. Certains souvenirs te revenaient en tête, lorsque tu pris la main de Rika pour la première fois … Ta liberté était en jeu aujourd’hui.

Tu te permis alors de t’arrêter devant elle, presque essoufflé de l’avoir rejointe si vite et à travers des dizaines de personnes. Il était certain que la pauvre femme ne comprendrait pas ton action s’il ne s’agissait pas de la Tamafune Kikyo que tu avais eu au téléphone deux jours auparavant. Tes yeux te jouèrent des tours, ce ne fut pas un visage inconnu qui se trouva face à toi, mais celui de Rika, tout souriant, t’accueillant à bras ouvert. Tu fronças les sourcils et secouas légèrement la tête pour être sûr de ce que tu voyais. Il s’agissait bien d’un visage que tu n’avais jamais rencontré devant toi, et sans perdre de temps, tu prononças son nom. « Tamafune Kikyo ? » Tu devais passer pour un fou. Mais de toute façon, tu savais que la réalité n’était pas bien loin de cette folie qui t'habitait.

Kikyo n’avait encore jamais pris le temps de visiter les serres, elle était donc bien heureuse de s’y rendre, elle avait enfilé un Kimono chaud et un col en fourrure par crainte du froid. Son kimono pouvait rappeler aux gens une aurore matinale, elle attrapa une fine ombrelle pour se protéger des doux flocons aux doux tons crépusculaires, la tenue à elle seule était mélancholique à regarder.
Dehors, le soleil reflétait ses doux rayons sur la neige blanche immaculée, les seules traces sur le sol du petit jardin étant les chaussures de la jeune femme.

Un fin nuage s’échappait de ses lèvres alors qu’elle sortait pour prendre les transports de la ville, il faisait trop froid pour marcher. Le trajet s’avéra assez bref et elle se pressa de sortir, préférant de loin être à l’extérieur finalement. Les flocons étaient fins et se déposaient lentement dans les longs cheveux bruns de la jeune femme, repoussant une mèche derrière son oreille, elle scrutait le lieu avec attention, cherchant du regard la personne qu’elle devait rencontrer ne sachant pas s'il serait déjà arrivé. Elle ouvrit son ombrelle et chassa la neige de sa chevelure avant de s’avancer doucement vers les serres écoutant le craquement de la neige sous ses pas et les voix des visiteurs.

Pas une seconde, elle n’avait pensé à échanger ton contact SCHA, ni même à demander le nom ou un détail qui permettrait de reconnaître son interlocuteur, quelle égoïste pouvait être Kikyo parfois, ne pensant pas forcément à s’intéresser aux autres et oubliant tout sens pratique.
Le seul détail qu’elle avait était une voix, et il est rare qu’une personne parle toute seule en extérieur.

Relevant la tête pour observer les lieux elle fut subjuguée par l’éclat de la verdure aux alentours, pourtant recouverte d’un léger drap blanc, le paysage était doux et calme, pas de bruit de ville, juste des voix et la neige.
Instinctivement, Kikyo se joignit à la foule qui se dirigeait vers l’intérieur des serres se disant qu’elle serait plus à même de trouver son interlocuteur à cet endroit vu qu’il avait donné rendez-vous dans les serres.
Elle devait s’arrêter de traîner et d’observer, elle accéléra donc un peu le pas, gagnant presque l’entrée des bâtiments.
Tournant la tête à droite et à gauche concentrée, elle sursauta légèrement quand un homme légèrement essoufflé apparut soudainement devant elle la prenant par surprise.
S’arrêtant brusquement elle dévisagea l’homme qui avait l’air un peu ailleurs, grand, brun, assez impressionnant et pourant Kikyo elle-même n’était pas petite pour une Japonaise.

En entendant son nom prononcé Kikyo eut confirmation que c’était bien la personne qu’elle cherchait qui se tenait devant elle, adressant un sourire poli et s’inclinant légèrement elle salua l’homme.

« C’est bien moi, enchantée !»

Elle fit bien attention à ne pas laisser transparaître dans sa voix la surprise qui l’avait saisie, peu habituée à être interpellée de la sorte.
Mais après tout, c’était de sa faute, si elle avait donné son numéro l’homme aurait pu la contacter bien plus aisément.
Regardant l’homme, elle reprit la parole.

« Et si nous nous dirigions à l’intérieur, nous y serons plus au chaud.
Par ailleurs comment dois-je vous appeler, je n’ai pas eu la décence de vous demander votre nom ?»

Perdu dans tes pensées les plus sombres, même si délicieuses à l’époque, tu ne vis que très rapidement l’expression surprise sur le visage de la femme inconnue devant laquelle tu venais de te planter comme un I. Machinalement, lorsqu’elle effectua une inclinaison de politesse, tu la suivis. Elle semblait un peu plus vieille que toi, tu devais donc un respect plus prononcé à tes aînés. De plus, elle était une cliente du salon de tatouage, alors autant faire les courbettes en bonne et dûe forme. Tu te sentais rassuré en un sens que ce soit bien la femme que tu devais chercher aujourd’hui. Tu aurais eu l’air bien bête si elle n’avait pas été celle que tu avais eu au téléphone deux jours plus tôt. Après une phrase d’introduction de sa part, elle te demanda ton identité. Tu sentis une petite honte monter en toi. Dans tous tes livres sur les échanges sociaux avec les êtres humains, la présentation de soi était la première chose à faire pour être reconnu. Tu avais oublié cette étape … Il fallait que tu rattrapes cela dès maintenant. « Je suis navré pour cet oubli. C’est Yasuhisa Katsuki, heureux de faire votre connaissance. » Tu t’inclinas à nouveau poliment, comme le ferait tout bon japonais. Tu jetas ensuite un oeil aux gens autour, et au fait que vous étiez arrêtés en plein milieu. Tu passas une main froide sur ta nuque, et reportas ton attention sur ta cliente, tenant bien fermement sous ton autre bras, ton carnet de dessin. « Nous devrions y aller. J’ai déjà acheter les Pass pour la journée. » Le Katsuki que tu étais aimait bien prendre de l’avance, et être un minimum avenant. Tu t’écartas de son chemin pour la laisser passer devant toi, et ainsi la suivre jusqu’aux guichets d’accueil situés un peu plus loin.

Quelques minutes plus tard, vous étiez en train de rejoindre la première serre, aux allures de jungle géante. Tu savais qu’il y avait des bancs pour se reposer et profiter du paysage, c’était pourquoi tu avais proposé cet espace naturel pour une rencontre. Tu te savais capable de dessiner n’importe quoi, mais parfois l’inspiration était longue à se présenter. Après tout, c’était un aspect des artistes qui ne pouvait pas se contrôler. Autant dire que pour toi qui adorais tout avoir sous un contrôle absolu, cela t’énervait au point de vouloir balancer tes phalanges contre un mur. Bien sûr, tu te retenais, parce que tu avais besoin de tes doigts pour dessiner, et exercer ton métier de tatoueur. C’était ton gagne-pain après tout.

« Avez-vous regardé le site des serres ? Y a-t-il une partie en particulier que vous aimeriez visiter ? » Tu étais déjà venu alors tu savais ce qu’on pouvait y trouver. Tu aimais le calme et la sérénité des plantes, et le bienfait qu’elles apportaient à l’existence humaine. Tu laissas ton regard vagabonder, perdu, sur les étendues de verdure. Cela était plaisant. Tu profitais de ta liberté convenablement si tu pouvais dire, tu essayais de t’occuper un maximum pour ne pas laisser ta folie te rattraper, pour ne pas la laisser te dévorer comme lorsque tu étais adolescent. Pourtant, parfois, tu pensais à tout ça, cela te revenait comme de douces vagues à l’odeur exquise … Tu avais envie de recommencer, tu sentais le BESOIN de refaire tout ça, de revivre ce qui te faisait vibrer … Mais c’était tes pulsions ou ta liberté, et sans liberté, tu n’étais rien. La prison t’avait coupé du monde, des paysages, des gens même si tu n’appréciais pas plus leur compagnie. Tu ne voulais pas revivre ça. Jamais.