Tu avais déambulé dans le centre ville un bon moment avec pour objectif d’acheter de nouvelles palettes de couleur pour tes dessins. Tu avais pris ton carnet de croquis pour te laisser emporter par ton inspiration du moment, si toutefois, elle se présentait. Cela pouvait être intéressant pour tes recherches personnelles, mais aussi pour présenter de nouveaux tatouages à ton patron. Une pierre, deux coups. Là était ton efficacité.

Tes yeux allaient çà et là. La boutique artistique était trop remplie pour que tu y ailles maintenant, la foule ne te mettait pas vraiment à l’aise, alors tu avais préféré passer ton chemin après t’être arrêté quelques secondes pour analyser la situation à l’intérieur. Peut-être que de nouveaux ouvrages étaient sortis, tu manquais de lecture ces derniers jours, mais tu ne savais pas vers quoi te diriger. Souvent, tu laissais ton instinct te dicter ce qui pouvait te nourrir de pulsions malsaines, même si tu savais que ce n’était pas suffisant. Tu te forçais à t’en contenter pour le moment. Tu savais ta liberté sur la sellette alors tu ne voulais pas créer de vagues et faire un aller simple pour la condamnation mortelle. Cette fois, tu n’étais pas certain que tu pourrais vraiment y échapper.

Tu pris une grande inspiration, montant les escaliers tranquillement, tes immenses jambes te permettaient de ne pas trop te fatiguer. La tête dans les nuages, ton corps avançait presque tout seul vers ta destination, la sensation de déjà sentir l’odeur du papier te remplissait comme si tu y étais déjà. Ce ne fut cependant que quelques minutes plus tard que tu t’arrêtas devant la porte coulissante de la librairie. Tu sentais le regard anxieux de la vendeuse lorsque tu posas le pied à l’intérieur alors que tu la fixas pour la saluer le plus poliment et sobrement possible. Ta voix grave ne t’aidait pas à paraître aimable, mais peut-être que tu ne cherchais pas non plus à le devenir.

Tu te dirigeas vers le rayon du genre policier sombre. Tu restas un moment à chercher la perle rare, tu optas pour un roman qui s’intitulait : « Dans la tête d’un psychopathe ». Rien que le titre te faisait tiquer, mais tu étais curieux de savoir ce que l’on pouvait dire sur la psychologie d’un véritable psychopathe. Après tout, tu étais bien placé pour savoir ce que cela faisait d’en être un. En te dirigeant vers les mangas, tes yeux tombèrent sur un ouvrage qui te donna envie de le prendre : « Manipulations et tortures ». L’époque dans laquelle tu vivais était vraiment ouverte à toutes sortes de publications, c’était une aubaine pour toi. Tu ressortis finalement de la boutique avec un sac contenant deux livres et la série complète du célèbre manga d’horreur « Doubt ». Tu adorais cet auteur.

La vendeuse te regarda plusieurs fois après avoir lu le titre des bouquins que tu achetais, mais tu n’y fis même pas attention, trop absorbé par ce que tu pourrais bien manger le soir-même. Tu te contentas de hocher poliment la tête à la jeune femme, pour ensuite rejoindre l’ascenseur, perdu dans tes pensées. Il était très rare que tu le prennes, mais tu n’avais pas vraiment fait attention où tu allais puisque tu étais distrait. En réalité, ces jours-ci, tu avais eu plus de contacts sociaux que prévu et cela te chamboulait. Tu avais l’impression d’être normal ? Oui, sans doute. Mais il ne fallait pas que tu le paraisses trop, parce qu’après tout, tu avais un certain degré de folie à garder pour toi. Tu appuyas donc machinalement sur le bouton du rez-de-chaussée sans prêter une quelconque attention à la jeune femme qui monta en cours de route.

Tu te reconnectas brutalement à la réalité quand une secousse te surprit, te faisant lâcher ton sac, dont le contenu se répandit sur le sol. Tes livres de psychopathe, oui, dévoilés ainsi dans une mini boîte de métal. Tu te baissas alors pour entreprendre de les ramasser, malgré la faible luminosité. Une voix féminine se demandait ce qu’il se passait à côté de toi, et ce ne fut qu’à cet instant que tu la calculas. Tu relevas tes yeux vides d’émotion sur elle, et de ta voix morne, tu osas lui parler. « Êtes-vous blessée ? »

Les livres sont fictifs et inventés par mes soins, sauf Doubt.

Les secousses terminées, il y eu un son bref puis plus rien. En face de l’étudiante, l’homme à l’allure élancée en était tout aussi étonné. Tellement que son sac s’était retrouvé échoué au sol, répandant la totalité de son contenu sur la surface froide de l’ascenseur. Aussitôt, le grand brun se mit à ramasser ses propriété bien que le regard de la jeune femme restait fixé sur lui. Sans doute réalisa-t-il alors sa présence.

« Êtes-vous blessée ?
- Euh, non, ça v… Oh ! »

Allys avait laissé son regard dériver vers le livre qui avait été projeté jusqu’à ses pieds. La jeune femme s’accroupit alors, comme pour tenter d’aider l’inconnu mais au lieu de tendre machinalement l’objet qu’elle venait de saisir, elle le prit à deux mains en le fixant de longues secondes.

« Dans la tête d’un psychopathe... » Lu-t-elle à mi-voix.

Finalement, elle releva les yeux, fixant intensément l’inconnu, puis laissa un soupire glisser d’entre ses lèvres mais contre toute attente le ton de voix de la brune n’avait aucune consonnance craintive ni même de jugement. C’était même au contraire effrayant de gaieté.

« Woaaah… Je l’ai lu la semaine dernière il est IN-CROY-ABLE ! J’en ai des frissons rien que de m’en rappeler. Très bon choix. »

Ce n’est que sur ces mots qu’Allys tendit enfin l’ouvrage vers son propriétaire. Elle ne prit pas attention à l’expression peinte sur le visage de son interlocuteur, son esprit passant sur des réflexions plus pertinentes : L’ascenseur s’était bel et bien arrêté. Pourquoi ? Peut-être un simple soucis de sécurité à la fermeture des portes ? Curieuse, Allys s’approcha du boitier, frôlant l’homme qui se trouvait juste devant. Elle leva la main, tapotant à nouveau sur le bouton de direction. Rien. Celui de l’ouverture des portes peut-être alors ? Non plus. D’ailleurs, le clavier n’était-il pas éclairé normalement ? Cela dit, l’éclairage dans l’habitacle n’était pas folichon lui non plus.

« On dirait bien qu’on est coincés. Panne de courant surement… Vous voyez un bouton d’appel d’urgence quelque part ? »

Marmonna-t-elle en cherchant du regard. Cela dit, ce n’était pas certain que cela fonctionnerait non plus. Mais qui n’essai rien...

Il était rare que tu te préoccupes du bien-être des autres. Vu ton passé, c’était plutôt l’inverse qui t’intéressait, mais il semblerait que tous tes efforts payaient finalement. Tous ces livres que tu avais achetés, lus, toutes ces recherches sur le SCHA pour devenir quelqu’un qui se fond dans la masse, quelqu’un qui sait entamer une conversation, qui sait répondre, et qui montre un certain intérêt au commun des mortels. Les humains fonctionnent tous de la même façon : il faut paraître intéresser pour que le courant passe. La valorisation par des phrases simples comme “comment tu vas”, “tu as fait quoi ce week-end” ou encore “tes vacances se sont bien passées” est comme une culture de la vie entre être vivant à deux jambes. Tu te surpris alors en posant cette question à la jeune femme que tu venais juste de capter. Un haussement de sourcil ondula légèrement les traits de ton front, alors que tu suivis son regard sur le contenu de tes récents achats éparpillées sur le sol. Alors que tu la laissais se perdre sur la première de couverture d’un ouvrage, tu te contentas de ranger le reste. Tu n’aimais pas qu’on touche tes affaires, mais tu prenais sur toi pour ne pas paraître plus désagréable qu’au naturel.

Un nouveau haussement de sourcil vint perturber la tranquillité de ton visage, tes yeux, à nouveau, se portèrent sur la fille qui semblait bien gaie en parlant de “Dans la tête d’un psychopathe”. Elle te disait qu’elle l’avait lu et qu’il était génial. Tu déchantas un petit peu sur le contenu, tu voulais presque lui laisser. Bien que tu l’avais acheté pour le critiquer, le juger, et l’ajouter à une série de livres que tu ne lirais plus jamais de ta vie, tu étais déçu que quelqu’un, une fille, l’ait apprécié. Malgré cela, son intérêt pour ce genre de romans te rendit curieux. Tu récupéras ton bouquin et le rangea proprement, avec maniaquerie, dans le sac avec les autres.

Tu te redressas sur tes immenses jambes, alors que la jeune femme s’approcha dangereusement de toi pour regarder les boutons de la boîte en métal. Tu te permis alors de reculer légèrement, sans pour autant l’offusquer. Tu plongeas alors ton regard sur le panneau, aucune touche n’était allumée, ce qui voulait dire … Que tu étais dans une belle mouise. Toi qui ne prenais jamais les ascenseurs … Tu aurais du faire attention, ton imprudence coûtait cher aujourd’hui. Tu commenças alors à réfléchir intensément sur des solutions immédiates pour que la situation soit plus confortable. « Portez-vous votre SCHA ? Si oui, demandez-lui d’illuminer la pièce, ainsi vous serez capable de voir un peu mieux grâce à la lumière holo qu’il vous montrera. » Tu te pressas de faire la même, mais tu n’avais pas envie de parler dans le vide. Tu n’étais pas encore habitué à ce genre de technologie, alors tu te contentas simplement de quelques gestes sur le panneau tactile que toi seul étais capable de voir avec tes yeux. Tu y vis donc plus clair, et t’empressas ensuite de regarder si le bouton d’urgence pouvait fonctionner. Tu appuyas dessus une fois. Deux fois. Trois fois, puis lâchas l’affaire. « Nous sommes bel et bien coincés ici. »