Quel temps splendide pour une balade ! Allys avait sauté à pied joints dans ses basquettes au motif étoilé, s’était emmitouflée dans son long manteau rouge surmonté d’une douce écharpe en laine et avait saisit le harnais qui pendait à l’entrée. Avec un grand sourire et des étoiles brillants dans ses grandes pupilles rondes, elle s’était exclamée :

« Gribouille ! Ballade ! »

Hop hop, en deux bonds la petite tête pelucheuse se mit à gambader joyeusement en direction de la jeune fille. L’adorable créature était un lapin bélier. Une grande lapine au pelage tacheté et aux immenses oreilles tombantes, regardant avec tendresse la bipède qui lui faisait office de mère de substitution. S’accroupissant, Allys gratouilla l’animal au niveau de ses joues avant de l’équiper de son harnais format réduit. Elle prit alors la petite lapine dans ses bras pour l’y déposée, dans un premier temps, dans le sac en osier où elle avait glissé un plaid et un coussin tout doux.

Prête à partir, la brune se mit alors en marche. Elle ferma derrière elle à double tour, descendit les cinq étages qui la séparaient du rez-de-chaussée puis elle se dirigea gaiement vers le parc arboré qui se trouvait à quelques pâtés de maisons de sa localisation. Il ne faisait pas bien chaud en cette période mais elle appréciait davantage de sortir que lorsque les lieux étaient bondés. Allys avait même ses petites habitudes : D’abord elle déposait Gribouille au sol et la laissait libre d’exprimer sa joie bondissante, roulant et courant comme une folle, puis elle les emmenaient sous le plus grand des arbres, là où elle pouvait s’assoir pour écrire quelques lignes, l’esprit aéré, tout en caressant sa petite compagne essoufflée par son quart d’heure désordonné mais visiblement sportif.

Tout se passait bien, à merveille même. Gribouille bondissait autour de la jeune femme, retenue par les cordages rose girly de la laisse, tandis que Allys avait le nez plongé entre les pages d’un livre à la narration captivante. Oui, mais jusqu’à ce que soudain la jeune femme se retrouve les jambes en l’air et les fesses meurtries par le sol dur et froid. Le temps qu’elle ne se remette de ses émotions la corde lui avait échappé des mains… Et Gribouille venait de filer comme l’éclair !

« Vous ! »

Allys pointa du doigt la personne qui venait de lui rentrer dedans – à moins que ce ne soit elle, ou les deux en même temps – et avait provoqué la fuite sauvage de sa Gribouille adorée. Les sourcils froncés et les yeux lançant des éclairs, Allys ne perdit pas un instant pour l’apostropher :

« Il faut la rattraper ! Aidez-moi ! » Il ne s’agissait pas d’une supplique, c’était plutôt un ton impérieux.

Merde ! L’abruti venait de prendre ses jambes à son cou après son méfait. Pas le temps de lui courir après ou lui hurler de s’arrêter… De toute façon c’est la jeune femme qui se trouvait sur le parcourt de la lapine apeurée qui se figea sur place devant le doigt accusateur de la brune. Une petite brindille aux cheveux rose bonbon dont le visage cramoisi de gêne était en parti caché sous une paire de lunettes colorées. Et il semblerait bien que le ton impérieux d’Allys lui ait fait de l’effet : La jeune femme qui faisait face à Allys tremblait de tout son être, grelotant avec force comme une feuille s'accrochant à sa branche malgré les bourrasques intempestives du vent. Apeurée, bégayante. Comme un petit lapin. Elle était aussi fragile et adorable... Mais ce n'était certes pas le moment de s'émouvoir.

« Mais rattraper qui ? » Bredouilla-t-elle, sans doute au bord des larmes.
« Gribouille. » répliqua aussitôt la brune d'un air évident. « La magnifique lapine qui vient de passer entre vos jambes. Aidez-moi à la rattraper avant qu'il ne lui arrive quelque chose ! »

Saisissant la manche du manteau de la rosée, Allys entraîna l'inconnue à sa suite. Malgré la conduite impérieuse de la jeune femme il se lisait malgré tout une supplique dans ses pupilles inquiètes. C’est avec un débit de paroles digne d’une rappeuse professionnelle, l’angoisse en plus, qui s’échappa des lèvres de l’étudiante tandis qu’elle avançait d’un pas rapide, la main solidement accrochée à sa bouée de secours.

« Elle a un harnais et une laisse rose bonbon on devrait la voir de loin mais elle doit être effrayée je n'arriverai pas à l'attraper toute seule un imbécile m’est rentré dedans et il s’est enfui mais pas le temps de m’en occuper comme vous êtes là vous pouvez bien m’aider il s’agit de sauver la vie de ma pauvre petite avant qu’il ne lui arrive quelque chose vous allez faire quelque chose hein vous allez m’aider ce n’est qu’une pauvre petite lapine je ne m’en remettrais pas s’il lui arrive quelque chose !?! »

Des traces de pattes toutes minuscules parcouraient la fine couche de neige, cela devrait les mener jusqu’à la boule de poils bondissante… En théorie. Il y en avait partout. Mais même si elles la retrouvaient, que Gribouille se laisse capturer serait autre chose, elles ne seraient vraiment pas de trop à deux…

Allys tremblait de la tête aux pieds, tétanisée à l’idée que le seul être comptant à ses yeux puisse avoir disparu pour toujours. Du moins, c’est ce que son corps déclamait à qui voulait bien poser les yeux sur la jeune femme. Mais Allys n’en avait pas vraiment conscience, son esprit tournant à pleins régime comme un réflexe inné chez elle. Il pédalait tellement qu’il devait surement être à la limite de l’implosion d’ailleurs. Heureusement sa compagne (même si elle était en quelque sorte forcée) eu l’intelligence de stopper la brune par des mots emplis de sens.

« Ecoutez... J-J'ai pas tout compris... Mais si vous voulez attraper un lapin... Est-ce qu'il ne faudrait pas plutôt tenter d'élaborer une stratégie pour le bloquer et ne pas juste... lui courir après ? »
« Eh bien il...euh… Ah. Oui. »

Tel une boite à musique arrivant en fin de mélodie, Allys s’était mise à ralentir. Physiquement, mais aussi dans ses mots, finissant par tout simplement s’arrêter purement et simplement. Elle resta un instant figée sur place, muette. Cela ne dura pourtant pas plus d’une poignée de secondes, juste assez pour huiler la machine de son être infatigable et la faire repartir de plus belle… Dans une autre direction toutefois : La jeune femme ouvrit son sac pour en retirer des baguettes. Elle les scinda en deux pour n’en garder qu’une seule avant de s’accroupir au sol. La jolie petite rosée avait raison, il fallait voir les choses autrement que dans la précipitation car à ce jeu-là c’est Gribouille qui l’emporterait. C’est pourquoi Allys se mit à dessiner un plan du parc dans la neige, pointant au fur et à mesure qu’elle expliquait celui-ci :

« Très bien, il nous faut un plan d’attaque. Là c’est l’entrée du parc, c’est à l’opposé de où nous sommes, au moins aucun risque qu’elle ne s’échappe par ici. C’est même le seul endroit qu’on doit à tout prix éviter de l’y pousser. Nous… On est juste ici. Et Gribouille doit se trouver dans cette zone, environ, je prend large. Mh… J’ai une idée pour la récupérer… Peut-être qu’en se séparant, vous en passant par ici et moi de ce côté-là… Faudrait que vous la fassiez fuir dans cette direction, c’est presque un cul-de-sac, je devrais pouvoir l’attraper si elle se retrouve piégée ici surtout si elle y trouve quelque chose auquel elle ne pourrait résister… Pendant que vous l’aiguillerez vers cette endroit, moi je placerai ce qu’il faut pour l’appâter.  Heureusement, j’ai largement ce qu’il faut : J’ai l’habitude de lui donner un réconfort après la ballade, donc j’ai quelques petites friandises qui sauront gagner son intérêt. Enfin. Normalement. »

La jeune femme redressa la tête, l’air un peu moins affolé que quelques instants plus tôt. Il y avait une détermination naissante dans ses prunelles. Allys misait tout sur la réussite de leur plan. Ou leurs, si jamais celui-ci venait à être un échec.

« Ca vous convient ? Ou vous avez d’autres idées ? »

« Et bien, nous sommes d’accord alors allons-y ! » s’enthousiasma aussitôt Allys.

Ni une ni deux les deux complices s’éloignèrent l’une de l’autre. La brune ne connaissait rien de l’étrangère, elle ne s’étaient d’ailleurs même pas encore présentées, mais elle avait immédiatement placé sa confiance en elle. Enfin… Disons plutôt que l’étudiante autoritaire ne lui en avait pas donné le choix alors ce n’était pas tout à fait exacte. Quoi qu’il en soit Allys était persuadée que la jolie jeune femme allait faire tout son possible de son côté. C’est pas tant qu’elle avait foi en la bonté d’autrui, ça non c’était certain, mais elle avait cette aura particulière qui influençait les gens honnêtes et irritait les fortes personnalités. C’était tout ou rien.

De son côté, Allys trouva assez vite le point stratégique qu’elle visait. Il n’était pas évident à emprunter de ce côté car il fallait enjamber quelques buissons pour se retrouver dans le pseudo cul-de-sac mais cela valait bien la glissade qui s’ensuivit. Les fesses épousant la froideur de la neige, la jeune femme avait gardé une expression satisfaite. Il ne restait plus qu’à déposer des friandises sur le chemin menant à elle… Et compter sur l’efficacité de sa comparse.

C’est au bout de longues secondes, ou minutes, que des petites oreilles peluches apparurent au loin, flottant au gré des bonds de l’agile Gribouille poursuivit par une autre tête connue. La petite lapine fuyait à grandes enjambées l’immense créature inconnue, filant tout droit, car nous ne savons tous le chemin le plus droit est toujours le plus court, du moins quand on a des pattes permettant de se hisser par dessus les obstacles, ou quand on ignore que ça ne mène nulle part. La boule de poils finit pourtant par ralentir lorsqu’elle remarqua que le montre à tête rose ne la poursuivait plus mais qu’en revanche un festin inattendu jonchait le sol. Petit à petit, une par une, Gribouille se saisit des friandises, guettant autour d’elle entre chaque bouchée. Allys restait immobile, la fixant sans, attendant patiemment que son petit bébé poilu soit suffisamment proche. Ce n’est que lorsqu’elle que la lapine fut à porté de bras que la jeune femme tenta de s’en saisir.

Raté. Le plongeon en revanche fut magistral, tout comme la grimace que formula Allys, la joue écrasée contre le sol. Mais il en fallait plus pour la décourager, d’autant plus que Gribouille fonçait droit sur le cul-de-sac. Se redressant promptement, la jeune femme tenta une approche mouvante mais plus douce, avançant au ras-du-sol, les mains remplies de friandises. Elle s’arrêta à quelques pas de la lapine qui n’avait pas d’autre solution pour se mouvoir que de se rapprocher de son humaine pourvue de nourriture. Et cette fois-ci cela finit par fonctionner. Gribouille avait avancé petit bond par petit bond, tentant quelques approches pour piquer la nourriture et reculer à la la va vite, mais elle revenait à la charge, bien trop gourmande, jusqu’à rester la truffe dans la paume ouverte de sa maitresse, qui, cette fois, restait parfaitement immobile. Finalement, avec douceur, elle se contenta simplement de glisser sa main libre sur la corde rose du harnais et d’y attacher son poignet solidement.

« Et voilà, maintenant tu es en sécurité. » Souffla-t-elle à voix basse en glissant ses doigts entre les oreilles de sa compagne à quatre pattes. « Ne me fais plus peur comme ça petite chipie. »