Histoire ; Bien, voilà la partie la plus difficile. Je vais tâcher de rester sérieuse et sage dans mon récit mais je ne promet rien. Mon histoire, ma vie passée, je préfèrerai l’oublier voire les faire disparaître.

Je suis une enfant de la technologie. Comme beaucoup de jeunes de mon âge, être plongé depuis gamine dans ce milieu technologique est simplement normal. A à peine trois ans on me fourrai entre  les mains tablettes et téléphone quand ce n’était pas tout simplement de me poser devant la télé à regarder les yeux dans le vague des images colorés aux récits imbéciles. Autant dire que j’ai plutôt bien débuté dans la vie en parfaite asociale. Mais quel scandale me diriez-vous, comment peut-on laisser un enfant de bas-âge seul et sans surveillance plutôt que s’en occuper ? Alors-même que quelques années auparavant nous constations ce fléau des enfants roi, absolument pas autonomes, retardés et portés sur la violence plutôt que la parole ? Et bien… Vous avez complètement raison. Mes parents m’ont mal éduquée. Pour vous expliquer ma situation il faut se pencher sur mes parents, bien séparément :

Ma mère est issue d’une famille profondément traditionnaliste qui ne lui laissait que peu de loisirs et de choix. Elle s’est toujours laissée guidée si je puis dire. On lui a insufflé la voie professionnelle à suivre, trouvé un bon parti puis convaincue qu’elle se devait d’enfanter pour avoir réussi sa vie. Mais ma mère est tout sauf une femme accomplie et épanouie. Elle fait un travail qu’elle déteste, n’a pas la fibre maternelle et reste en couple par obligation couplé à la  peur. Une bonne vie bien ratée.

Mon père viens d’une famille pauvre. S’il n’a eu que peu de choix dans la vie ce n’était pas tant qu’on le lui imposait mais plutôt que ses propres parents avaient déjà des difficultés à subsister à leurs propres besoins. Il a du faire des efforts, bien plus que n’importe qui, pour se hisser à la hauteur. Il a travaillé sans relâche jusqu’à obtenir une vie meilleure. C’est avec acharnement qu’il s’est plongé dans de hautes études puis qu’il a décroché un travail au salaire élevé. Et avec l’argent tout lui a réussi… Il a obtenu une belle maison, une femme belle et aimante, une vie de famille stable et sans problème. L’argent à été la solution à tout ses problèmes. Le hic… C’est qu’il en veut toujours plus et ne sait pas se satisfaire de ce qu’il possède.

J’ai… J’ai grandit dans une famille réellement anxiogène. Mon père n’était pas très souvent présent, autant à cause de son travail prenant que parce qu’il aimait sortir et s’amuser, mais lorsqu’il était avec ma mère et moi il trouvait de nombreux prétextes pour se disputer avec ma mère et la violenter. Moi-même, j’ai déjà pris quelques coups au passage. Et lorsqu’il finissait par se calmer, il sortait. Parfois des heures, d’autres fois des jours entiers. Revenant comme une fleur avec des cadeaux et des mots doux, le tout accompagné d’excuses larmoyantes. C’était son mode d’emploi : Être exécrable, s’enfuir, se faire pardonner, provoquer de la pitié et de la culpabilité, obtenir satisfaction. Le tout par « amour ». Ma mère cédait, acceptait, toujours, quoi qu’il lui ait fait. Par « amour ».

Bien. Je m’arrête ici pour les couplés remplis de pathos, je pense que vous avez saisi l’idée. Et j’en reviens au fait que, oui, entre un père au choix absent ou terrifiant et une mère trop occupée à être dépressive, il n’y avait pas grand monde pour m’éduquer. Et non, rassurez-vous, la télé et les tablettes ne m’ont pas rendue idiote. Heureusement pour moi, l’école existe et c’est en partie ce qui m’a sortie hors de ma bulle. De manière désastreuse j’en ai peur, mais tout de même assez pour oser aller vers les autres. Très jeune, j’étais encore suffisamment sociale. J’étais très extravertie, joueuse et bavarde. Je m’intéressais à tout, littéralement et j’étais déjà particulièrement débrouillarde.

Je dirais que les choses ont commencé à changer à partir de mes six ou sept ans. L’âge auquel on commence vraiment à se sensibiliser au monde extérieur, à s’intéresser aux autres pour ce qu’ils sont, à éprouver des sentiments complexes. Le fait est que c’est là que j’ai commencé à me replier sur moi-même à la moindre contrariété. J’étais perdue entre cette envie de connaître la raison de ces visages souriants autour de moi et cette peur irrépressible de m’attacher à eux. Aimer quelqu’un impliquait de faire souffrir ou être en souffrance, mes parents me le témoignaient assez souvent pour que j’en sois consciente.

Pourtant, ils me témoignaient de plus en plus d’attention. Ma mère s’intéressais à mes journées passées, prenait soin de m’offrir ce qui pouvait me faire plaisir et passait du temps avec moi lorsqu’elle en avait l’occasion. Mon père, lui, était de plus en plus impliqué dans ma réussite scolaire, voire mon éducation dans sa globalité. Il s’est mit à s’investir dans mon épanouissement intellectuel même si d’un autre côté cela impliquait une pression à laquelle je n’étais pas prête… Comme dans sa propre vie, il en voulait bien plus de ma part. Réussir était une chose, aller au-delà de mes capacités en était une autre. Je me suis mise à vivre dans la peur irrépressible de le décevoir car cela amènerait à des accès de colère et à me faire culpabiliser de provoquer de la honte dans les yeux de mon père.

J’avais dix ans lorsque l’épidémie est arrivée dans nos vies. J’en ai encore des souvenirs douloureux et une culpabilité dévorante. J’étais trop jeune pour comprendre comment quatre murs pouvaient bien nous protéger de cette menace invisible et je maudissais le gouvernement de nous l’avoir imposé. Vous n’imaginez pas à quel point mon cocon familiale est devenu insoutenable. Les tensions entre mes parents sont montés à leur summum, j’ai même bien cru qu’un drame allait arriver. Pour couronner le tout, je n’avais aucun moyen d’y échapper, même quelques heures. Je crois bien que c’est à cette époque que mon super pouvoir de faire évader ma conscience de mon propre corps à vu le jour. J’ai commencé à me plonger dans la littérature et les jeux vidéos dans l’idée que cela me laisserait échapper aux cris résonnant sans cesse dans cette maison de malheur. Et puis un jour mon père est tombé malade. Il est resté en isolement quelques jours et puis son état s’est dégradé alors on l’a envoyé à l’hôpital. Et secrètement je me suis mise à espérer que ce virus ait raison de lui. C’était une pensée terrible et pourtant elle ne m’a pas quittée. Pourtant, il s’en est sorti et c’est le virus qui à fini par se dissiper.

Les années qui ont suivit ont été extraordinaires en terme d’avancées technologiques. J’en ai été fascinée et, une chance pour moi, il faut bien que j’en ai un peu non ? Mon père gagnait assez d’argent pour nous offrir à ma mère et moi tout ce dont on pouvait rêver. Les robots ménagers, la détection vocale, le casque de réalité virtuelle… A peut près tout ce dont on pouvait rêver. C’était sa manière de dire qu’il nous « aimait » et pour qu’on l’excuse de ses mauvais comportements. A l’école, je suis devenue populaire. J’étais à la pointe de la technologie, j’avais beaucoup d’argent, j’étais énormément gâtée… Et je leur offrait mes propres cadeaux sans hésiter. Alors je me suis mise à attirer l’attention. Tout le monde était gentil avec moi. Alors j’ai continué… De toute manière je ne voulais rien venant de mon père. Contrairement à ma mère, je me suis mise à le détester profondément, à rejeter cet « amour » horrible. Mais cette amitié ne valait guère mieux, elle m’a laissé un goût amer. Je pensais pouvoir remplir le vide de mon existence mais cela sonnait creux.

Je suis longtemps restée ainsi, dans cette routine au goût inachevé. Entourée telle une ruche par ses abeilles à l’école, à étudier d’arrache-pied à peine rentrée puis finalement me coucher à des heures indécentes, plongée dans une lecture passionnante ou un jeu à la narration époustouflante. Ca, jusqu’à ce que se pose la question de mon avenir. Mon père désirait faire ce que l’on avait fait subir à sa propre femme : M’obliger à suivre la voie qu’IL avait choisi pour moi. Les finances ?! Pour faire exactement comme lui ? Un travail sans âme, richement payé mais insatisfaisant au point de dénigrer ses proches ?

J’ai refusé.
Refusé avec obstination.
Je me suis indignée.
J’ai argumentée.
Je lui ai montré mes croquis, mes ébauches d’histoires.
Je lui ai mit là, sous son nez, mes rêves et espoirs, mon univers, mon seul réconfort dans cette vie terne et sans vie.
Il s’est saisit de mon livre.
Et l’a déchiré sous mes yeux.

Il n’a eut que faire de mes hurlements. Seuls les siens comptent. Seules ses envies ont d’importance. Il m’a lancé un ultimatum : Je m’inscrivait là où il avait décidé pour « mon bien » et parce qu’il « m’aime » ou alors il sévirait.

Et pour la première fois de ma vie j’ai décidé d’agir.

Le lendemain après l’école ma valise m’attendais devant la porte avec un mot : « Bonne chance pour t’en sortir toute seule. »

J'ai dû me trouver un logement insalubre et mal famé à la hâte pour ne pas me retrouver à la rue... J'ai dû lutter pour ne pas perdre espoir et il m'a été extrêmement difficile de ne pas céder au chantage de mon père mais finalement j'ai réussi à y échapper. J'ai travaillé dur pour me faire des économies solides, quitte à prendre n'importe quel travail même le plus rabaissant, et je suis partie le plus loin possible que j'ai pu.

Maintenant… Et bien ça fait deux ans que je vis dans un appartement ridiculement petit (mais pas trop mal situé) à Okutama, sur mes économies et grâce à des boulots précaires tout en suivant mes études en faculté de lettres. Mais j’y arriverai… J’ai confiance. Je n’ai besoin de personne, hormis de Gribouille ma lapine de compagnie, je peux bien m’en sortir toute seule. Il est de toute manière absolument hors de question que je retourne là-bas.